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Meiga ♣ Et plus encore ♣ Messages : 37 Localisation : entre deux mondes
| Sujet: D'Ici... et d'Ailleurs Ven 8 Juin - 14:09 | |
| Allez, cette-fois une histoire que tout le monde peut lire ;) Résumé : Les nomades d'Ailleurs ne sont pas comme les sédentaires d'Ici. Les uns ont la peau blanche et les cheveux clairs. Les autres ont la peau mate et les cheveux sombres. Mais lorsque certains possèdent une mémoire et pas les autres, l'histoire se complique... - D'Ici... et d'Ailleurs:
D'Ici... et d'Ailleurs Je vivais dans un monde étrange. Deux populations s’opposaient. On m’avait dit qu’avant ma naissance, longtemps avant, il n’y avait pas de Nomades. Seuls existaient les Sédentaires : les gens d’Ici. Ils n’étaient pas plus beaux ou plus forts, mais ils étaient d’Ici, les gens d’Ici. Ils avaient les cheveux noirs et les yeux sombres. Leur peau était mate alors que celle des gens du voyage était claire. Eux, les autres, les Nomades, avaient des cheveux blonds ou mêmes roux, parfois, rarement. Leurs yeux étaient des fenêtres ouvertes sur le ciel et la prairie, sur la rivière et la forêt. Eux, ils vendaient des fruits venus d’Ailleurs sur le marché et, comme personne ne voulait avouer les avoir achetés, on disait qu’ils volaient. Les Nomades ne nous voulaient aucun mal mais sans le savoir, ils nous faisaient déjà un mal immense : nous n’avions pas de Mémoire. Eux, ils se souvenaient. Nous, nous ne possédions qu’une Mémoire peu importante, ne retenant que les évènements les plus proches. Les gens d’Ici et les gens d’Ailleurs auraient pu vivre en harmonie. Mais un roi en décida autrement. Un roi qui avait un fils. Je m’en souviens, j’étais là…
Un jeune garçon marche vers le camp des Nomades, il est heureux, ça se voit. C’est Soleï, le prince des Sédentaires. Arrivé dans le creux qui protège les gens du voyage, il cherche du regard une personne. Il ne la voit pas arriver par derrière. Elle s’amuse à lui faire peur. Il sursaute. Ils rient. Elle dépose un baiser léger sur sa joue. Il rougit légèrement et cela la fait rire de plus belle. Elle l’entraîne vers la forêt. Ils disparaissent tous les deux entre les arbres. Une heure passe. Ils reviennent souriants, chargés de fruits, heureux tout simplement. Un ordre. Ou plutôt un aboiement bref de soldat pressé. Elle court, perd sa joie et sa bonne humeur. Il la suit, inquiet. Le prince la rattrape alors qu’elle est perchée sur un rocher, dominant le creux dans la prairie. En contrebas, on peut voir le campement. Le crépitement des balles, la chute des corps. C’est silencieux, presque beau… beau à en pleurer. Elle s’effondre, comme si les balles l’avaient touchée elle aussi. Les soldats envahissent le camp et fouillent les caravanes. Les vieux et les vieilles qui étaient à l’intérieur sont sortis sans ménagement. Les cris des enfants, pour la plupart protégés par le corps de leurs parents, se font entendre. Les assassins les alignent tous : les vieux, les jeunes et les bébés. Nouveaux crépitements, nouveaux corps qui s’affaissent. Les roulottes colorées brûlent. En bas, un peuple vient d’être détruit, en haut, des larmes silencieuses coulent sur les joues de deux adolescents…
Je me souviens du jour qui a suivi l’attaque, le village des gens d’Ici était en fête, le roi paradait dans la ville fortifiée. Son fils restait introuvable mais personne ne le remarqua. Et de toute façon, comment auraient-ils pu imaginer que le fils du roi était en compagnie de la dernière Nomade vivante ? Car la jeune fille rousse dont le prince s’était épris était la dernière survivante du peuple des Nomades, et toute la Mémoire d’un peuple vivait avec elle. Si ç’avait été quelqu’un d’Ici, on n’aurait pu dire cette phrase toute simple mais c’était une fille d’Ailleurs. Et Ailleurs ce n’était pas comme Ici. Ailleurs, la Mémoire était importante et sacrée. Ici, la Mémoire était une chose superflue : « Si je l’ai oublié, ça ne devait pas être si important ! » s’exclamait souvent le roi. Et tout le monde autour de lui riait car ils avaient oublié la blague. A la fin de la fête, alors que le soleil s’effaçait derrière les remparts, Soleï était réapparu. Moi seul savais où il se trouvait durant la fête. Il avait caché la Nomade dans la forêt, à l’abri. Elle avait insisté pour y rester. Malgré le danger des Tigres, il l’avait laissée. Malgré la forêt dont tout le monde disait qu’elle avalait les Hommes, il l’avait laissée. Le soir, il se passait quelque chose d’étrange dans la chambre du prince que presque personne ne savait. Je m’en souviens, j’étais là…
Un jeune garçon entre dans une grande chambre. Il est seul. La pièce est inhospitalière mais c’est chez lui, c’est le seul endroit où il fait ce qu’il a envie et seulement ce qui lui plait. Alors, dans le secret de la grande chambre vide, le prince apprend des chansons, des mélodies aux accents étrangers, les chansons des Nomades. Ce n’est pas grand-chose mais il reste l’habitant d’Ici avec le plus de souvenirs. Si l’on excepte le Gardien de Mémoire. En y regardant bien, on voit que la pièce n’est pas occupée que par le futur roi. Dans une grande cage d’or posée près de la fenêtre, un oiseau bleu et vert, immobile, dort. Le prince a laissé la cage grande ouverte. Sur la table de nuit reposent les clés dorées qui enfermeraient l’oiseau pour toujours. C’est la jeune Nomade qui les lui a offertes. Elle a dit : « Tant que l’oiseau sera libre, je serai libre aussi. Si tu as confiance en moi, laisse la porte ouverte. » et la porte n’avait jamais été fermée. La nuit tombe et avec elle vient le silence. Le prince se couche. L’oiseau s’est envolé. On a pu voir son ventre pendant un instant. Les plumes que cachent d’ordinaire les ailes sont d’un rouge intense, hypnotisant. Au matin, l’oiseau est revenu dans la cage. Son chant très doux réveille le prince…
Pendant plusieurs jours après le grand massacre, le prince disparaissait toute la journée. Lorsqu’on voulait lui dicter sa conduite, il s’esquivait, bâclait son travail et s’enfuyait aussitôt qu’il le pouvait. Mais un jour, il fut suivi. Un garde avait remarqué son manège et avait pisté le prince jusqu'à la forêt. Sa surprise fut grande quand il vit son jeune souverain discuter avec une Nomade ! Il avertit le roi qui estima que la comédie avait assez duré. Il fallait tuer cette sorcière qui possédait son fils. Ce fut fait dès le lendemain, le prince allait rejoindre la belle dans la clairière qu’elle s’était aménagée. La forêt ne l’avait pas mangée, aussi étrange que cela puisse paraître. Les arbres la protégeaient. Il y eut un ordre. Ou plutôt, de nouveau, l’aboiement bref d’un soldat pressé. On écarta le prince, on attrapa la Nomade. Elle fut attachée à un arbre. Huit soldats s’alignèrent en face d’elle. Soleï se débattait. Il criait et la Nomade pleurait. Cependant, elle avait beaucoup de fierté et fixait avec défi les soldats en face d’elle. L’un d’eux prenait un plaisir sadique à diriger les opérations. Les yeux gris accrochèrent les yeux verts. Le prince et la Nomade. Le soleil et la lune. Des larmes coulaient sur les joues du prince. Elle, ne pleurait plus. Sur ses lèvres, on lisait trois mots : « Ne m’oublie pas ». Soudain, le crépitement des balles. Les liens qui la tenaient debout furent défaits, elle s’effondra : les balles l’avaient touchée. Soleï voulait la voir, une dernière fois, la serrer dans ses bras. Une dernière fois. Mais les soldats avaient des ordres. Ils ne le laissèrent pas approcher. Ses cris suppliaient, ses yeux cherchaient de l’aide. Il n’avait que quinze ans. Et il aimait. Comment peut-on être aussi cruels avec un enfant de quinze ans ? Puis la forêt reprit ses droits. Je m’en souviens, j’étais là…
Ils sont là, tous. Ils se taisent, tous. Sauf ce jeune garçon, Soleï. Il crie, il pleure, il se débat. Mais rien n’y fait, les soldats ne le lâcheront pas. Le corps d’une jeune fille repose au sol. Sa chevelure de feu s’étend autour de sa tête. Dans un arbre, un oiseau bleu et vert chante doucement. Sans qu’ils s’en rendent compte, les racines sur lesquels ils marchent se mettent en mouvement. Lentement, la forêt entoure le corps de la Nomade. Les branches se resserrent, les racines s’espacent, un espace se crée au milieu du sol mouvant. Les soldats s’en sont aperçus maintenant, les ordres fusent. Avant d’être emporté, Soleï voit le corps de son aimée disparaître entre les racines qui ressemblent à des serpents. Elle n’est plus. Et le prince pleure…
Je me souviens du retour des soldats, la foule était réunie devant les portes de la cité. Les femmes remirent des colliers de fleurs aux héros. Le roi fit un discours en les remerciant d’avoir accompli leur devoir. Ils étaient fiers, ils bombaient le torse. Le prince fut consigné au palais pendant un mois. Les premiers jours, il essaya de s’enfuir. Il réussit à la troisième tentative. Il courut jusqu’à la clairière, trébuchant sur les racines qui formaient le sol de la forêt. Les seuls témoins de l’incident étaient les arbres, géants sages et muets. Sur le tronc de l’un d’eux, on aurait dû retrouver des marques. Des impacts. Mais il n’y avait rien. Soleï pleura, longtemps, seul. La forêt le laissa venir autant de fois qu’il le souhaitait mais bientôt, il ne vint plus. Les portes ne s’ouvrirent plus devant lui, les gardes ne le laissaient plus passer librement. Il resta au palais comme le lui avait ordonné son père. Et il oublia…
Un jour, quand un mois fut écoulé, le jeune souverain demanda pourquoi il était consigné. Son père eut beau chercher et chercher encore, demander à tous ses ministres, interroger ses conseillers, plus personne ne s’en rappelait. En désespoir de cause, le roi alla voir le Gardien de Mémoire. C’était un vieil homme plié en deux par le temps. Il conservait dans une grande salle tous les évènements, importants ou non, que les citoyens d’Ici venaient lui rapporter. Lorsqu’on le lui demanda, il se dirigea vers le casier consacré aux affaires royales et résuma la situation au roi telle qu’elle lui avait été contée par les ministres. Le roi était fier de sa décision et ne dit rien à son fils. L’histoire de Soleï et de la Nomade avait sombré dans l’oubli. Le jeune garçon put commencer son entraînement : tous les hommes de la cité devaient savoir utiliser un fusil et une épée. Nous n’étions pas en guerre mais sait-on jamais… Alors que le jeune prince se mêlait à la violence et au fer plusieurs meurtres furent commis. Un soldat fut tué. Personne ne s’en souvenait mais c’était celui qui dirigeait l’arrestation de Soleï et l’exécution de la Nomade. Un caporal fut retrouvé mort. Personne ne s’en souvenait mais c’était celui qui avait lancé l’attaque du camp nomade. Puis un garde fut décapité. Personne ne s’en souvenait, même pas lui, mais il avait un jour suivit Soleï et l’avait dénoncé au roi. Les autres gardes qui surveillaient les remparts la nuit étaient nerveux et beaucoup affirmaient avoir entendu une ombre rousse leur chuchoter : «Tu ne te souviens pas mais moi oui… J’espère que tu n’as rien à te reprocher…». Les témoignages affluaient dans la grande salle du petit homme brisé en deux par les âges. Et souvent, un lecteur s’asseyait et lisait les vies des gens d’Ici. Il cherchait un lien entre les morts. Et il l’avait trouvé. Ce lecteur était le prince. Devant les menaces du roi, le Gardien de Mémoire avait changé la version de la mort de la dernière Nomade, effaçant Soleï de l’histoire. Cependant le jeune souverain lisait tous ces récits comme s’ils comportaient quelque chose d’unique. Les soldats victimes de l’ombre rousse avaient tous participé au grand massacre, de près ou de loin. Mais le garde assassiné restait un mystère pour Soleï. Le tueur ne s’en prenait qu’à des hommes qui s’étaient réellement impliqués dans la bataille : tous les soldats qui avaient obéi aux ordres n’étaient pas morts. Alors pourquoi ce garde ? Le prince relisait la mort de la dernière Nomade en cherchant ce qui le dérangeait. Il s’usa les yeux sur le parchemin. Il ne trouva rien.
Alors? ça vous a plu? Et pour l'affichage ça va? Une suite dans pas longtemps ;)
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| | | Meiga ♣ Et plus encore ♣ Messages : 37 Localisation : entre deux mondes
| Sujet: Re: D'Ici... et d'Ailleurs Sam 9 Juin - 23:03 | |
| La suite!!
- D'Ici... et d'Ailleurs, suite et fin:
Le fer contre le fer, la chaleur, les jeux et la fausse mort. Dans les sous-sols, à côté des forges, les jeunes d’Ici s’entraînaient à manier l’épée. Au milieu d’eux évoluait un garçon de dix-huit aux cheveux noirs et aux yeux gris. Le prince. Soleï avait oublié la Nomade, il avait oublié le campement d’Ailleurs. C’était devenu un jeune homme fort et habile au combat. Son père était enfin fier de lui : il avait abandonné ses livres et autres « occupations de femmelettes » et s’intéressait à l’art de la guerre. Sans la théorie, juste la pratique. Bientôt le prince ferait son baptême du feu. Les Tigres seront capturés puis lâchés au pied de la cité. Du haut des remparts, les jeunes hommes tireront pour la première fois sur cibles réelles. S’ils arrivaient à tuer un Tigre, ils mériteraient le nom d’hommes. Sinon, ils resteraient pour toujours avec les femmes et les enfants. Une fois l’entraînement fini, le prince disparut et se rendit, comme presque tous les soirs, à la grande salle de Mémoire. Le Gardien le connaissait à présent. Le jeune souverain venait pour lire toujours la même histoire : celle de la mort de la dernière Nomade et le vieil homme préparait le parchemin comme l’aurait fait un bibliothécaire soigneux. C’était leur secret. Tournant les pages, Soleï fronça les sourcils. Il y avait quelque chose, quelque chose dans ce récit, qui ne collait pas. Soleï ne voulait pas oublier. Après avoir relu l’histoire, le prince s’en allait, sous l’œil bienveillant du vieil homme qui était encore plus courbé.
En trois ans la chambre du jeune roi n’avait pas beaucoup changé. L’oiseau était toujours dans la cage, à côté du grand lit. Mais un peu avant que l’ombre rousse n’apparaisse en ville les clés avaient disparu. La cage n’était pas fermée. Elle était cadenassée par un verrou de bois. Etrangement, on dirait qu’il s’est étendu sur toute la porte : elle paraît tout de bois maintenant. Le prince n’avait pas apprécié. Je m’en souviens, j’étais là…
Le prince se réveille. L’oiseau ne chante plus depuis longtemps. D’ailleurs, qui a dit qu’il avait chanté un jour ? Il ne bouge plus, ne vole plus… C’est à peine si l’on voit qu’il vit encore. Ce matin pourtant, quelque chose a changé sur la cage. Un cadenas, en bois, est apparu sur la porte. Le prince ne sait pas d’où il vient ni qui l’as mis mais il est sûr d’une chose : il n’était pas là la veille. Alors il s’acharne, il ne sait pas pourquoi mais si la cage se ferme alors tout s’effondre. Il ne comprend pas le message du cadenas de bois. Il tire, il essai d’arracher, il secoue la cage, l’oiseau, mais rien ne peut déloger le petit cadenas. Au fil des jours, le prince abandonne la lutte. Et le cadenas commence recouvrir la porte sous l’œil indifférent de l’oiseau bleu…
Quelques jours plus tard, une fête était organisée par les futurs baptisés. C’est idiot mais les jeunes gens d’Ici célébraient leur prochain meurtre. Le prince Soleï en faisait partie. L’un d’eux avait amené de la bière et du vin. Ils avaient beaucoup bu et des paris stupides avaient été lancés. C’est ainsi que le prince s’était retrouvé dans la forêt. Il devait attacher une corde à un arbre, le plus lointain qu’il pourrait atteindre, avant que la forêt ne s’éveille. Je m’en souviens, j’étais là…
Enivré, Soleï accepte le défi. Il tient au bout de son bras une longue corde. A l’autre bout, tout aussi saouls, les jeunes hommes l’encouragent. Avec la nuit, des flambeaux s’allument et c’est muni d’une torche que le prince entre dans la forêt. Il ne représente apparemment aucun danger car les racines dorment sous ses pieds. Il marche. Le vent le fait frissonner et la flamme du flambeau vacille. Il marche. Il arrive dans une clairière. Impression diffuse mais bien réelle : il connaît cet endroit. Soudain, une bourrasque siffle entre les arbres et la flamme s’éteint. Soleï cherche un arbre pour attacher sa corde, il est hors de question qu’il aille plus loin. Surtout dans le noir. La forêt est dangereuse. Il trouve alors un grand chêne qui n’a pas l’air plus inquiétant que ça et s’en approche. Car c’est là que réside le vrai défi : attacher un arbre sans provoquer la colère de la forêt. Il encercle le tronc. Soudain, une voix l’arrête. Une voix qui chante… Le garçon cherche la source du bruit. Soudain, il sent un souffle léger sur sa nuque. Il se retourne et fixe l’obscurité avec ses yeux inutiles. Il tente de trouver un point de couleur auquel s’accrocher. Mais il n’y a rien. Rien que cette chanson qui recommence à présent. Cette chanson qu’il a l’impression de connaître. Puis un chuchotis, pas plus fort que la brise, à peine audible… « Bonjour petit prince, j’espérais que tu viendrais… Je ne voulais pas que tu m’oublies tu sais… » et l’ombre glisse un collier de cuir autour de son cou. Alors, pour taire ce silence, Soleï hurle, il hurle comme jamais il ne se souvient avoir hurlé. « Ne m’appelle jamais comme ça, celle qui l’as fait es morte ! Tu entends ?! Morte ! » mais la voix se tait à présent, effrayée par cet accès de colère. Soleï ne sait pas comment mais il se souvient, il se souvient d’une jeune fille, de son rire, de son sourire, de comment elle l’appelait : petit prince. Seul dans la forêt, Soleï pleure. Tombé à genoux, les jambes coupées par l’émotion, il ne sait plus où il est. Certains affirment que la forêt ranime les souvenirs, répare les mémoires et tourmentent les cœurs. Quelqu’un se penche sur lui avec douceur. « Ne pleure pas petit prince, ne pleure pas… Elle m’a promis que bientôt nous serons ensemble à nouveau. Calme toi petit prince, Elle dit toujours la vérité. ». Il essaie de rattraper celle sui lui parle. Il la connait, il en est sûr. Sa Mémoire effilochée ne retient pas grand-chose mais, cachée, il reste une braise presque éteinte, discrète, que cette voix a ranimée. En soufflant dessus avec sa chanson, l’ombre rousse en a fait un feu de souvenirs. Un brasier qui consume Soleï de l’intérieur. Et qui l’empêche d’oublier…
En revenant parmi les autres jeunes, Soleï était désorienté. Dans la forêt, il avait revu un fantôme, l’ombre rousse meurtrière. Pourtant, il avait à peine vu son visage. Mais il savait. Il savait à présent. Il se souvenait pour la première fois. Il ne termina pas la fête. Il rentra directement chez lui. Dans le palais silencieux, ses pas résonnèrent contre les murs trop grands. Il vit la cage. On devinait tout juste l’oiseau à l’intérieur, entre les barreaux d’or et de bois mêlés. Il s’allongea tout habillé et s’endormit aussitôt.
Le lendemain, ses maîtres d’entraînement lui laissèrent la journée. Il la passa dans la grande salle de Mémoire. Gardien, c’était le nom du vieil homme, discutait volontiers avec Soleï. Il lui apprit que le Gardien de Mémoire était choisi parmi des volontaires. Il abandonnait son nom à la forêt qui lui offrait en retour le plus beau des cadeaux : une Mémoire. Evidemment, le Gardien devait oublier son identité première et consacrer toute sa vie aux gens d’Ici… «Et d’Ailleurs» avait murmuré le petit homme avec un sourire. Ils avaient débattu un moment en imaginant toutes les hypothèses sur ce que devenait le nom des Gardiens. Car, si la Mémoire ne représentait pas grand-chose aux yeux des gens d’Ici, le nom était important, presque sacré. C’était l’enfant lui-même qui le choisissait à l’âge de dix ans. Avant, on le nommait « petit » et cela suffisait, il n’avait pas besoin de nom. Soleï, qui avait choisi son nom en s’inspirant de l’astre du jour, était persuadé que Gardien savait ce que la forêt faisait du nom mais qu’il ne pouvait pas le lui révéler. Ils se quittèrent au soir, lorsque la nuit leur rappela l’heure. Soleï s’endormit, pour la deuxième fois depuis longtemps, sans se retourner des heures dans son lit. A sa fenêtre, une ombre rousse, fantôme d’une jeune fille, chantait doucement…
Au matin, le prince s’éveilla. L’esprit tranquille. Sur la cage, le cadenas de bois avait disparu. Une heure après, il était aligné avec les autres jeunes, sur les remparts. Les Tigres furent lâchés. « Honneur au prince ! » scandèrent ses camarades. Il choisit sa cible, une jeune Tigresse, et tira. La bête s’effondra. Les autres Tigres coururent alors vers la forêt, laissant les jeunes hommes complètement hébétés. « Ce sont des choses qui arrivent, affirma Gardien, je ne l’avais plus vu depuis longtemps mais la forêt a apparemment décidé de ne tuer qu’un Tigre cette année. Descends donc récupérer la peau du tien jeune roi. ». Soleï n’attendit pas l’approbation de son père et dévala les escaliers. « Pourvu que je me sois trompé. » pensait-il. Mais arrivé près de la bête, il sut qu’il avait eu raison. Enroulée dans une peau de Tigre beaucoup trop grande pour elle, une jeune femme rousse d’à peine dix-huit ans, se meurt. Soleï s’approche en pleurant. Autour du cou du prince, une lune en bois était accrochée à un lacet de cuir, cadeau de l’ombre rousse, le soir où il l’avait rencontrée.
« _ Tu avais compris pourtant… chuchote doucement la Nomade. _ Mais j’espérais encore… murmure en retour le Sédentaire. »
Derrière lui, Gardien s’approche en silence et lui glisse en passant :
« _ Amène-la à la forêt. Elle seule peut faire quelque chose pour elle. » il s’éloigna en boitant bas. Rapidement.
Alors, doucement, le prince prend dans ses bras la Nomade et la porte jusqu’à la forêt, dans sa peau de Tigre. Elle est toute légère et se pelotonne contre lui, autour de la blessure qui lui rougit le ventre. Autour de son cou, un soleil en or est accroché à une chaîne fine, cadeau du prince le jour où elle l’a rencontré. Soleï entre dans la forêt qui le laisse faire. Dans la clairière, au cœur de la forêt, il dépose la jeune fille rousse. Sans le savoir, c’est au pied de l’arbre où elle a failli mourir une première fois. Perché dans les branches, un oiseau bleu et vert chante doucement. La forêt avait sauvé la Nomade, pour se venger de ceux qui avaient tué le peuple tranquille. Mais elle avait fini par s’attacher à la jeune fille et voulait laisser une dernière chance aux adolescents. La plus belle femme que Soleï ait jamais vue se matérialise près d’eux. C’est la forêt. A ses côtés, un vieil homme courbé par les ans. La forêt est muette mais pas sourde et encore moins aveugle. Gardien parle et ses mots expriment les pensées de la forêt…
La ville d’Ici n’eut plus jamais de roi, ni de prince. Le cadenas de bois, que la forêt avait posé, voulait excuser la Nomade. Elle ne se contrôlait pas, elle n’avait pas tué. En revenant de la forêt, je n’étais déjà plus Soleï. J’avais abandonné mon nom à la forêt, elle m’offrit une Mémoire et mon nouveau nom : Gardien. Je travaille maintenant dans la grande salle, au milieu des parchemins et des livres, seul. Il n’y a qu’un Gardien dans la ville d’Ici. Parfois, je reste tard devant ma fenêtre. Elle donne sur la forêt. C’est une vue superbe. Et parfois, je les vois. Un jeune garçon et une jeune fille. Fantôme de mon ancien nom, fantôme de mon souvenir. Le prince d’Ici et la Nomade d’Ailleurs. Le soleil et la lune. Je m’endors avec leur image gravée en moi. Je veille à ce que les parchemins de la grande salle de Mémoire ne relatent que la vérité et plus aucun récit ne fut modifié pour conserver un secret. J’ai créé, dans le creux des Nomades, une bibliothèque dont j’ai été le premier auteur. Mais d’autres Sédentaires m’ont suivi et elle contient maintenant plus de mille recueils. J’ai changé très vite en acceptant ce poste. Maintenant, les années m’ont façonné à l’image de mon prédécesseur : je suis plié en deux. Je suis très fatigué en ce moment. J’ai pris un apprenti il y a peu, je peine pour me déplacer. Mes yeux se ferment et je pense à toi. Jamais je ne t’oublierai Luna… Gardien.
- et Petite Fille...:
Une petite fille avec des bottes rouges était assise près de Gardien. Elle le regarda fermer les yeux pour la dernière fois, tenant dans sa main minuscule celle, parcheminée, du vieillard. Elle récupéra la longue lettre qu’il avait écrite juste avant de rejoindre Luna. Puis elle avait marché, invisible parmi les visibles. Elle avança sur les pavés de pierre, elle traversa la forêt. Et elle disparut, tout simplement.
Voilà, c'est la fin^^ laissez vos avis (même négatifs^^) J'ai hésité longtemps à mettre la partie de Petite Fille... Qu'en pensez-vous? |
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