Une chanson. Barbare. Sans rythme. Sans beauté. Comme celles qu’ils font, aujourd’hui. C’est une voix masculine qui chante. Elle est faible. Comme s’il chantait pour lui-même. D’entre les arbres, je le vois passer sur un chemin qui est annexe au mien. Cheveux blancs gris, et je ne perçois pas la couleur des yeux dans cette sombre nuit. Ce n’est qu’une silhouette foncée perdue entre les autres, et seule sa tignasse a une couleur que je peux deviner. Et puis d’un coup, il ralentit, s’arrête. Il semble écouter, se concentrer. Et puis, sa silhouette change. Une aura presque maléfique se dégage. La vision m’épouvante. Il s’agit d’une personne encapuchonnée, ailée. Mais malgré l’obscurité, je perçois la blancheur écarlate d’os. Une voix crie dans mon esprit de fuir. Mon cœur bas à vive allure. Il s’agit de la Faucheuse, la servante de l’obscurité, celle qui vole les vies. Une voix, tout à fait différente de celle que j’ai entendue auparavant, me questionne puis m’ordonne de me montrer. J’hésite. Puis, je traverse calmement la broussaille qui me sépare d’ « elle » et déploies mes ailes d’une couleur plus pure encore que la lune elle-même. Un blanc tellement éclatant qu’il semble illuminé autour de lui, m’enveloppant dans un halo d’une lumière illusoire. La silhouette est plus grande que moi. Pourtant, je m’approche sans ciller, malgré le malaise grandissant qui me prend petit à petit. Ma voix, aussi glacée que celle de mon interlocutrice, s’élève :

« Je m’appelle Abyss. Et ce que je fais ici me semble plutôt clair, je me balade. »

Effrontée ? Un peu. Dis moi, Faucheuse, vois-tu combien de vies j’ai pu prendre, vois-tu comment la mienne as été sauvée par la main de Dieu lui-même ?

Il s’excuse, s’éloigne. Je ne le retiens pas. Mes ailes se replient délicatement dans mon dos, sans pour autant que je les dissimule. Elles me rassurent, surtout avec la présence de cet homme dans les parages. Puis e continue également mon chemin. Et même pas quelques instants plus tard, des paroles hurlées à la face à la nuit, un cri de rage. J’aurais pu simplement ignorer. Oui, j’aurais pu. J’aurais voulu. Mais au fond de moi, cette voix qui m’avait crié de fuir, me pousse à aller voir la raison de cette haine, ces cris. Avez-vous déjà ressentis ce mauvais pressentiment qui ne vous, lâche pas et qui vous dirige dans la direction que vous ne voulez pas suivre ? C’est mon cas. Je serre les dents. Mais pourquoi ais-je croisé le chemin de cet homme ? Mes pieds font demi-tour. Et avant que je ne m’en rende compte, je cours sur le chemin, planant à moitié sur mes ailes déployées, accroissant ma vitesse par cette occasion. Je débouche rapidement sur une clairière. Je tombe à terre, une douleur vive me prenant au cœur. Un malaise croissant en moi. J’ai envie d’hurler. Pourtant, je me redresse péniblement. Et je discerne, au fond de la clairière, cette même silhouette sombre encapuchonnée avec ses ailes squelettiques. Une seule pensée me vient à l’esprit. « Bon sang, m’est qu’est-ce qu’il fout ? »

Je ne le sens pas, ce coup là, vraiment. J’ai envie de tourner les talons. M’enfuir. Mais cette envie devient presque une obsession. Je ne sais pas ce qu’il se passe. Quelque chose à changer, je le sens au plus profond de moi. Ma bouche s’ouvre et ma voix s’élève suffisamment pour qu’il puisse m’entendre, même s’il est à l’autre bout de la clairière :

« Mais qu’est ce que t’es con ! Reviens ici ! TOUT DE SUITE ! »

De quel droit lui parle-je ainsi ? Je ne le connais même pas. Mais je sais qu’il me fallait attirer son attention. Je me mets le plus droite possible, mes ailes déployées. Mon cœur bat vite, très vite. Je tente de me détendre. Après tout, qu’est ce que je risque ? Ce n’est pas comme si auparavant ma mère était morte à mes côtés, en même temps qu’une soixantaine d’enfants dans un accident de la route. Ce n’est pas comme si moi, je n’avais été que la seule rescapée de ce massacre. Ce n’est pas comme si je n’avais jamais vu la faucheuse, comme si elle ne m’avait jamais frôlée, prise dans ses bras. Ce n’est pas comme si la main de Dieu m’en avait arraché pour me ramener sur la rivière de la vie, au lieu de tomber dans l’oubli de la mort. Non, non, ce n’est en fait, absolument pas comme si je méritais de mourir, moi, parce que mon temps de vie avait été trop allongé.

Je ne fais qu’observer. Immobile. Des paroles, glacées. La silhouette qui s’avance vers moi. Et je sens quelque chose qui se bat en cette silhouette de ténèbres. Je n’ai qu’un mot en tête, lorsqu’elle s’écroule à mes pieds. Pitoyable. Des mots qui se veulent héroïque dans un combat qui aurait pu être drôle dans certaines circonstances. Mais tout cela, dans la réalité... C’est très, trop, déplacé. La course de mon cœur reprends peu à peu un rythme normal, ma peur se tarit un peu face à la scène à laquelle j’assiste. Une Faucheuse effrayante étalée à mes pieds, qui menace à tout bout de champs, mais qui n’est même pas fichu de contrôler suffisamment son corps pour ne pas tomber. Un début de fou rire me prend. Je me retiens désespérément. Mais vous savez, se retenir de rire alors qu’on a un fou rire... Mauvais choix. Je pouffe et finis par rire à gorge déployée, comme devant un mauvais film d’horreur. Au bout de quelques minutes je reviens à me concentrer, a reprendre mon calme. Ma voix, devenue presque chaleureuse grâce à ce rire qui m’a été arraché s’élève à nouveau :

« Faucheuse... Ce n’est pas ta nuit, tu le vois bien. Retourne dans tes ténèbres. Et laisse-moi donc découvrir celui qui t’héberge. Vous êtes tout deux très divertissants. »

Je pose mon pied sur la faux, la bloquant à terre sous mon poids, et je m’accroupis face à elle, un sourire sur mes lèvres. Mais un sourire indéchiffrable. Un mélange de sarcasmes, de moquerie, mais également de douceur et de chaleur.

Une main osseuse s’empare de mon poignet et je ressens une vive brûlure. Mais rapidement elle s’estompe et je me sens partir. Loin, très loin. Et un instant plus tard, je suis autre part. Une dimension d’obscurité. Seule la Faucheuse et moi-même sommes éclairé par je ne sais quelle lumière. Je me sens mal, ici. Puis la voix glaciale du squelette encapuchonné reprend, d’un ton solennel. Ryan ? Ah, non, jamais entendu parler. Elle continue. Me parles du fait qu’elle veut tuer, que son propriétaire est poursuivi... Très charmante histoire. Elle pourrait écrire un livre. Qu’ais-je à voir avec tout ça ? Je ne compte pas m’en mêler. Faire venir des gens sur le campus... Comment je peux faire ? De toute façon je ne connais pas ces gens. Je croise mes bras sous ma poitrine. Mon ton de voix change encore, cette fois il est dur :

« Non. Je refuse tout ça. Je ne te donnerais pas ma vie, je ne mènerais pas des gens à l’abattoir. Rien de tout ça ne me convient. Ce que je propose, c’est que tu nous ramène dans le monde réel, que tu te passe de l’eau sur la figure et que tu retournes dormir. »

« Je me contrefou à qui je parle. »

Mes bras sous toujours croisés sous ma poitrine. Je ne suis pas idiote. Mais cette silhouette, là, elle semble l’être. A-t-elle seulement réalisé qu’elle me donnait la possibilité de m’enfuir sans pour autant accomplir de sombre tâche ? Pitoyable. Vraiment. Je n’ai pas la force pour rivaliser avec cet être de ténèbres, mais j’ai la ruse et l’intelligence. N’ais-je pas ainsi passé tout les plus hauts examens à mon entrée au collège ? Surdouée dans toutes les matières, un génie en puissance. C’est à force de travail que j’ai eu tout ça, pas dans le but d’un jour me sauver la vie, juste dans le but d’attirer l’attention de mon père sur moi. Je m’avance, me baisse et attrape entre l’index et le majeur le papier noirci.

« Mais j’enverrais ce message. Maintenant, renvois moi dans ma dimension. »

Un air déterminé, de la sincérité dans les yeux... L’artillerie du menteur parfait. Impossible de percer le fait que je ne le ferais pas. De toute façon, j’ai compris. La faucheuse a besoin de me toucher pour m’envoyer ici. Si nous revenons dans le monde réel et que e deviens intouchable, je ne risque rien. Et puis, je ne compte pas croiser à nouveau son chemin. Ou du moins, je plus jamais être à porter de ses doigts squelettiques.